Centième anniversaire de la naissance de Marie-Madeleine Duruflé (1921–1999)
Le 8 mai 1921 naissait Marie-Madeleine Chevalier à Marseille.
J’ai rencontré Marie-Madeleine Duruflé pour la première fois au Nebraska en novembre 1971, à l’occasion d’une tournée qu’elle effectuait conjointement avec son mari Maurice Duruflé. Cette rencontre avait été suscitée par mes professeurs américains qui voulaient absolument que j’aille travailler avec le célèbre couple à Paris. Les Duruflé jouissaient en effet à cette époque d’une incroyable popularité aux États-Unis. Maurice y était reconnu à la fois comme un compositeur majeur du XXe siècle et comme un interprète dont l’élégance et la sûreté de goût étaient inégalables et Marie-Madeleine comme une virtuose hors catégorie dont les prestations électrisaient littéralement son auditoire.
Ayant été acceptée comme élève par le couple, j’arrivais rapidement à Paris sans me douter que s’ouvraient non seulement de longues années d’études auprès d’eux, mais également une relation privilégiée qui devint intime jusqu’à leur disparition.
Ma première leçon eut lieu à l’orgue de leur studio place du Panthéon. Marie-Madeleine me demanda tout d’abord de jouer une pièce au piano, puis testa mon oreille. A l’instar de son maître Marcel Dupré, elle estimait que tout organiste doit être d’abord un bon pianiste. Elle me demanda donc de poursuivre mes études de piano et d’entreprendre un cursus de solfège spécialisé avec sa sœur, Éliane Chevalier, qui devait également devenir une grande amie.
Les exigences de Marie-Madeleine en matière de technique étaient nombreuses et quelquefois surprenantes. L’articulation devait être impeccable, le lâcher de chaque note étant aussi important que son attaque. Il est impossible sans avoir eu le privilège de l’observer à la console d’imaginer la précision de son jeu y compris dans les œuvres les plus virtuoses du répertoire. En dépit de cette virtuosité ébouriffante, elle s’astreignait elle-même au travail dans l’extrême lenteur. A cet égard, je me souviens de l’avoir surprise, alors que je m’apprêtais à sonner à la porte du studio, au travail d’un petit choral de l’Orgelbüchlein au métronome à 60 à la double croche… La tenue à la console devait être d’une sobriété absolue, tout mouvement inutile étant à proscrire. Elle exigeait que l’on puisse jouer avec le huit-cents grégorien en équilibre sur la tête sans le faire tomber ! Au titre des surprises que pouvaient réserver son enseignement, je me souviens également d’un cours que j’abordai avec la confiance que confère un travail préalable assidu sur une pièce nouvelle. Alors que je venais de m’asseoir sur le banc, Marie-Madeleine me demanda d’emblée de transposer la pièce un demi-ton plus haut. Elle pouvait également demander de soustraire une voix de l’exécution d’une polyphonie et de la chanter. Elle insistait sur le fait que l’organiste, contrairement au pianiste qui joue un instrument tout à fait normalisé, doit faire face à des instruments très divers à l’état d’entretien variable et disposer par conséquent d’une marge de sécurité considérable pour compenser cette difficulté supplémentaire.
Très pieuse, Marie-Madeleine considérait comme un sacerdoce la fonction d’organiste liturgique. Elle insistait pour que le choix des œuvres écrites jouées pendant l’office corresponde parfaitement au calendrier liturgique. Elle portait une attention particulière à ne pas faire attendre le célébrant par des interventions d’orgue trop longues, privilégiant pour cette raison l’improvisation sur les pièces écrites lorsqu’elle estimait que le temps imparti à l’orgue était trop court. Confrontée à des choix de cantiques qui laissaient bien souvent une large place à des rengaines indigentes, elle s’efforçait toujours d’atténuer leur banalité par la richesse de ses accompagnements.
Au sommet de son art, elle fut frappée ainsi que son mari par un terrible accident de voiture en mai 1975. Après de nombreuses opérations et une rééducation de 10 mois en thalassothérapie à Granville, elle reprit progressivement son service au grand orgue de Saint-Étienne-du-Mont avec beaucoup de volonté et de courage. Organiste suppléante à cette époque, j’avais assuré la plus grande partie du service du grand orgue depuis l’accident. Je continuai bien entendu à aider la reprise de Marie-Madeleine du mieux que je pus en me rendant disponible à chaque fois que la fatigue ou les douleurs ne lui permettaient pas de monter à la tribune. Pendant de longs mois, nous nous répartîmes ainsi les offices grâce à un rendez-vous téléphonique hebdomadaire. Cette période fut très difficile car elle devait non seulement travailler à sa rééducation organistique mais aussi beaucoup s’occuper de son mari dont les séquelles de l’accident avaient partiellement ôté l’autonomie. Ce n’est qu’après le décès de Maurice Duruflé en 1986 et à la suite de plusieurs opérations qu’elle retrouva pleinement ses moyens de virtuose. De 1989 à 1994, elle enchaîna concerts et classes de maître tant en France qu’aux États-Unis.
Mais des séquelles de l’accident de 1975 nécessitèrent de nouvelles opérations et sa santé se dégrada. Après un séjour estival dans sa chère maison de Ménerbes dans le Vaucluse, elle s’éteignit à Louveciennes le 5 octobre 1999.
Plus de vingt années se sont écoulées depuis sa disparition mais elle demeure pour moi l’exemple lumineux qui continue de m’inspirer non seulement sur le plan musical mais aussi par sa force spirituelle qui se manifestait par une confiance et une joie de vivre communicatives.
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