L’orgue Grenzing de Radio France
Le nouvel orgue Grenzing pour Radio France à Paris
La maison de Radio France à Paris s’est vue doter d’un nouvel auditorium de 1 461 places, inauguré en novembre 2014. Au départ, aucun orgue n’avait été envisagé dans les plans dessinés par le bureau d’architectes parisien AS Architecture-Studio et, pour l’acoustique, par la société japonaise réputée Nagata Acoustics.
Ce n’est que grâce à l’action audacieuse et la ténacité d’une douzaine d’éminents représentants du monde des organistes et de la musique que les responsables prirent clairement conscience qu’un tel lieu ne pouvait se passer d’un orgue.
L’intérêt ainsi suscité incita Radio France à se faire accompagner par un comité composé de six grands organistes expérimentés (Michel Bouvard, Thierry Escaich, François Espinasse, Bernard Foccroulle, Olivier Latry et Jean-Pierre Leguay).
Après avoir remporté le marché international pour la facture de l’orgue, nous avons bénéficié d’un accompagnement très soutenu et de l’encouragement du comité pendant les six années qu’ont nécessité la gestion du projet, la réalisation et l’achèvement de l’instrument. Le dialogue étroit avec ces experts fut pour nous un enrichissement exceptionnel et constitue d’ores et déjà une base importante pour de futurs projets.
Caractéristiques d’un orgue pour une salle de concert
Mais en quoi un orgue pour salle de concert se différencie-t-il de son homologue pour église ?
Il doit pouvoir se marier à toutes les sonorités de notre culture musicale instrumentale et vocale, tant dans l’espace qu’en termes de timbres. Du pianissimo subtil au fortissimo le plus puissant, il doit accompagner, seconder et agrémenter des solistes, des chœurs, un orchestre de chambre ou un grand orchestre symphonique. Il doit pouvoir tenir son rôle dans le répertoire orchestral et interpréter les styles les plus divers du répertoire de l’orgue. Enfin, les compositeurs et improvisateurs doivent considérer un tel orgue comme un support et une source d’inspiration pour la création de nouvelles œuvres.
Ce n’est qu’après la signature du contrat que la disposition définitive et les détails techniques purent être arrêtés à l’occasion d’échanges fertiles lors d’une rencontre à Paris entre six de nos collaborateurs et le comité.
Pour bon nombre de détails de cet orgue, nous avons pénétré dans un monde inconnu en termes de sonorité et de techniques. À notre connaissance, il n’existe par exemple aucun instrument sur lequel il est possible de jouer simultanément sur une console électrique avec transmission proportionnelle et une console mécanique.
Les anciens grands maîtres nous ont toujours inspirés en termes d’innovation, par exemple Jordi Bosch. En savoir plus : www.grenzing.com/pdf/jordi_bosch_iso.pdf.
Notre vision d’un triple jeu de gambe avec une extension d’octave en 4’ fut acceptée. Nous nous étions ainsi imaginé un timbre clair, quasiment une étape préliminaire avant l’utilisation d’harmoniques ou de mixtures aiguës.
S’agissant des jeux d’anches, notre volonté de diversité fut également partagée. Il en a résulté non seulement une chamade mais aussi une partie instrumentale à haute pression avec tubas qui, soutenue par des Flûtes à haute pression, vient se détacher fortement de l’instrument ou l’accompagner pour parfaire l’orchestre. Par ailleurs, le Cor anglais du quatrième clavier fut également conçu avec un timbre particulier pour les solos.
Comme alternative aux anches de facture allemande qui, ensemble avec les jeux à bouche peuvent reproduire une grande diversité de mélanges de sonorités vocales et être utilisées en polyphonie, des anches françaises « traditionnelles » ont également été proposées. Elles sont reconnaissables dans le nom des jeux par leur orthographe : « Trompete » ou « Trompette ».
Nous comprenons que les oreilles des Français préfèrent la sonorité des anches typiques de leur pays. Au vu des recherches menées, nous sommes pleinement conscients que nous devons créer (voire même plus important encore : restaurer !) des sonorités propres à chaque pays et adaptées à l’oreille des auditeurs.
www.grenzing.com/pdf/klang.pdf
Le buffet
Le buffet d’orgue a été conçu par l’architecte de la salle en fonction de nos exigences techniques et stylistiques. Ainsi, l’instrument est intégré dans le lieu de telle sorte qu’il se distingue avant tout davantage par sa façade frontale de 12 mètres sur 12 qu’en tant qu’objet. A l’avant du buffet sont placés les tuyaux de 8’ et 4’ du Grand-Orgue et de la Pédale et, immédiatement derrière, les tuyaux de 16’ correspondants qui remplissent tout l’espace du buffet central.
Les jalousies encadrant le buffet symbolisent sur trois étages les boîtes d’expression des claviers I, III et IV, laissant apparaître les tuyaux situés à l’arrière. L’action de ces jalousies, d’autant plus renforcée par des effets techniques de lumière, confère du dynamisme au jeu de l’organiste. Bien entendu, leur fonctionnement peut être également débrayé.
Les consoles
Pour la console mécanique, la configuration suivante a été souhaitée :
- quatre pédales crescendo, programmables et disponibles via l’une des pédales d’expression, au choix de l’organiste ;
- fonction « unisono » des boîtes d’expression (all swells on swell) ;
- les accouplements des claviers peuvent être sélectionnés en mode mécanique comme électrique ;
- un système MIDI pour le Replay et un dispositif d’accord ;
- des accouplements librement programmables à n’importe quel intervalle.
La console mobile sur scène (de design transparent, sans podium et, par conséquent, extrêmement basse et facilement déplaçable) est équipée d’une transmission électrique proportionnelle (toucher sensitif).
Sur un orgue mécanique avec traction sensitive, l’organiste peut contrôler l’attaque et l’extinction principale des tuyaux, la capacité d’expression musicale ne se matérialisant qu’avec un vent réagissant en conséquence. Dans le meilleur des cas, l’organiste fait alors partie intégrante de l’orgue.
Ceci est impossible avec une transmission électrique directe puisqu’il n’existe qu’un contact on/off. En revanche, la transmission électronique proportionnelle traduit le mouvement du doigt d’après la traction présente dans l’orgue. Même une touche du pédalier difficilement contrôlable avec précision par l’organiste sur les grands orgues peut désormais être étonnamment attaquée de manière différenciée et être jouée en douceur.
L’ordre des claviers varie selon les types d’orgues ; nous avons donc envisagé de donner la possibilité à l’organiste d’inverser l’ordre des claviers.
Ainsi le Grand-Orgue peut se jouer sur le premier clavier et le Positif sur le deuxième, ou inversement ; de même, le Récit peut se jouer sur le quatrième clavier et le Solo sur le troisième, ou inversement.
Le point de contact, à savoir l’emplacement où le son commence ou s’arrête avec l’enfoncement de la touche, peut être réglé.
Le positionnement latéral du pédalier peut être réglé au gré de l’organiste, selon l’aplomb avec les claviers auquel il est habitué.
Points communs aux deux consoles :
- elles comportent toutes deux quatre claviers à 61 touches en os et ébène. Le pédalier de 32 marches est en chêne. L’organiste peut, à l’aide de l’écran tactile, mémoriser ses propres données personnelles ou programmer la vitesse des tremblants.
- Sostenutos en mode addition ou substitution : en mode addition, toutes les touches jouées continuent à retentir, en mode substitution, les touches initialement enfoncées s’arrêtent dès lors que de nouvelles sont enfoncées. Lorsque l’une des deux fonctions est activée, elle est automatiquement annulée par l’activation de l’autre fonction.
- Les deux consoles peuvent être jouées simultanément. Dans ce cas, l’organiste peut choisir quelle sera la console principale (celle qui commandera les combinaisons) : la mécanique ou l’électrique ;
- Séquenceur avec télécommande sans fil pour l’assistant afin de ne pas déranger l’organiste ;
- Des clés USB peuvent être utilisées pour une commande personnalisée ;
- Par le biais d’un clavier décimal et d’un écran tactile, le combinateur avec ses multiples utilisations possibles est mémorisé. Des milliers de combinaisons sont disponibles ;
- Diverses combinaisons et niveaux ne sont disponibles qu’au moyen d’un code. Les organistes sont ainsi assurés d’avoir réellement à disposition leurs registrations personnelles.
À la recherche d’un son idéal
Nous avons échangé à de multiples reprises avec des compositeurs, chefs d’orchestre et organistes (et notamment aussi avec des organistes chefs d’orchestre) sur leurs visions en termes de sonorités.
L’observation souvent constatée, que les chefs d’orchestre demandent aux organistes de « jouer moins fort », révèle que l’orgue dérange en quelque sorte. Nous pensons que cette « gêne » lors du pianissimo est due à l’attaque, la phase transitoire de chaque tuyau, et en matière de forte, aux mixtures trop typiques de l’orgue qui se détachent trop fortement de la sonorité de l’orchestre.
Nous pensons depuis déjà longtemps que la solution réside dans la conduite extrêmement sensible de l’attaque de chaque tuyau. Malgré son attaque rapide et tout à la fois douce, chaque son doit se déployer librement et avec légèreté. Ainsi, une certaine intégration aux sonorités d’un orchestre peut être facilitée.
La sonorité typique « propre à l’orgue » résulte en grande partie des mixtures et des rangs de quinte. C’est la raison pour laquelle nous avons séparé la mixture du Grand-Orgue en rangs d’octaves. Les quintes peuvent être jouées via un registre séparé. À titre de fonction de contraste, il existe dans le Grand-Orgue une cymbale à intervalles réglables. Le son peut être ainsi enregistré dans des sonorités les plus diverses, telles que celle de véritables cymbales, mais est particulièrement marquant en neuvième ou en septième, rendant ainsi l’orgue toujours reconnaissable lors d’un fff de l’orchestre.
L’instrument se divise en sept plans sonores au total, communiquant entre eux ou pouvant être isolés pour des solos : Grand-Orgue / Récit expressif / Positif expressif / Solo expressif / Solo haute pression expressif / Chamade / Pédale.
Pour un effet sonore particulier, une pédale d’expression programmable pour une pression réglable librement et progressivement a été installée pour le Positif.
Le 7 novembre 2013, la commission des organistes a effectué un premier examen plus approfondi de l’orgue, presque entièrement achevé, dans notre grande salle de montage à Papiol (Barcelone). Dans le local de 17 m de haut doté d’une acoustique réputée bonne, ils ont pu jouer pour la première fois sur l’instrument puis approfondir et débattre avec nous du résultat. Le jour suivant, les membres de la commission présentèrent l’instrument à l’occasion d’un concert en vue de discuter ensuite avec 80 spécialistes venus de toute l’Europe et invités par nos soins lors un colloque qui s‘ensuivit sur le thème « Les orgues dans les salles de concert ».
COLLOQUE www.youtube.com/watch?v=Xw1D5i_luFA
CONCERT EN ATELIER DE CINQ ORGANISTES PRESTIGIEUX www.youtube.com/watch?v=YtagKK0VALo
Installation de l’orgue à Paris et la sonorité
Après l’installation de l’orgue et les premiers essais sur site, l’instrument fut de nouveau harmonisé en fonction du lieu. Il fut adapté à la puissance sonore de l’orchestre sans perdre ni la poésie, en terme de sonorité, ni la complexité des différents timbres et volumes acoustiques.
Nous avons été très reconnaissants vis-à-vis des organistes de la commission pour leur étroite collaboration, leurs nombreux échanges instructifs et leur soutien.
 
Inauguration
Du 7 au 9 mai 2016, Radio France organisa des concerts d’inauguration joués par 15 organistes : des concerts à apprécier en famille, un programme « poésie et orgue », des morceaux arabo-andalous improvisés ainsi que de la musique d’avant-garde.
Se sont produits : Pascale Rouet, Coralie Amedjkane, David Cassan, Guillaume Nussbaum, Freddy Eichelberger, Juan de la Rubia, Els Biesemans et Freddy Eichelberger.
Le sommet de l’inauguration fut le concert de clôture offert le 9 mai par les célèbres organistes Michel Bouvard, Thierry Escaich, François Espinasse, Olivier Latry, Shin-Young Lee et Jean-Pierre Leguay. Des liens des concerts sont disponibles à la page d’accueil de notre site grenzing.com
Un orgue pour tous
Radio France prévoit d’utiliser ce tout nouvel instrument à des fins les plus diverses. Une campagne en vue de la création d’un cercle de bienfaiteurs et de donateurs investis dans les futures activités autour de cet orgue a été lancée. Des suggestions ont d’ores et déjà vu le jour sur différents thèmes : ateliers et voyages d’études, master-classes, promotion de jeunes organistes en résidence, orgue et cinéma, série de pièces radiophoniques avec France Culture et concours de composition. Radio France accueillant tous les concerts, un entretien méticuleux de notre instrument est primordial et a été confié à Michel Goussu, notre collègue parisien facteur d’orgues.
Je tiens à remercier très vivement les six organistes de la commission des organistes de l’orgue de Radio France, le maître d’œuvre, le conservateur de l’orgue Jean-Michel Mainguy, l’assistante pour les organistes Emma Pommier et, tout particulièrement, mes 20 collaboratrices et collaborateurs pour la confiance et la coopération professionnelle dont ils ont fait preuve avec patience. Les « solistes » de notre équipe ont été : Jordi Andujar (dessins techniques), André Lacroix (harmonie des jeux à bouche), Daniel Grenzing (jeux d’anches), tous deux assistés par Mario d’Amico.
Rétrospectivement, je peux dire que dans notre atelier, nous sommes ouverts aux dernières évolutions et attentes sur le plan technique ainsi qu’à la poursuite de leur développement, mais que nous sommes également très soucieux de ne pas nous laisser détourner de notre volonté de retenir et évoluer les valeurs musicales anciennes et éprouvées.
Je dédie la réussite de notre œuvre à mon maître Rudolf von Beckerath, qui est venu à Paris pour apprendre et est reparti comme enseignant, ainsi qu’à notre collaborateur et ami Andreas Mühlhoff, qui nous a quittés dans de tristes circonstances.
Gerhard Grenzing
Traduction Probicon
Extrait d’un article pour Ars Organi
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